Leurs parcours ont des allures de success story : élèves brillants aux carrières fulgurantes, ils ont fait partie de l’élite de la haute finance et ont brassé des millions. Si John R. Taylor, Jr, Stanley Druckenmiller, et Bill Lipschutz sont considérés comme les meilleurs traders de l’histoire et ont généré des milliards de dollars de profits, nous allons nous intéresser aux plus sulfureux d’entre eux, qui ont fait perdre des sommes astronomiques à leurs employeurs et ont même été traduits en justice.
Jérome Kerviel, dénommé le trader fou de la Société Générale : €4,8 milliards de pertes
En janvier 2008, la Société Générale déclare qu’un de ses traders lui a fait perdre €4,9 milliards. On apprend par la suite le nom de la personne en question : Jérôme Kerviel, 31 ans. Il aurait pris des positions interdites sur les marchés à termes pour un montant de €50 milliards. La Société Générale a toujours soutenu qu’il avait tenté de dissimuler ses pertes et outrepassé les contrôles de sécurité, alors que ce dernier a affirmé que la banque fermait les yeux sur le montant des transactions, tant qu’elles étaient profitables. Kerviel a été condamné à trois mois de prison en 2014 pour abus de confiance, faux et usage de faux, introduction frauduleuse de données informatiques, avant d’être néanmoins libéré quatre mois plus tard.
Nick Leeson, l’as du Nikkei : €1 milliard de pertes
Ce nom ne vous est certainement pas inconnu et ce pour la bonne raison qu’il s’agit du trader « escroc » le plus médiatisé de l’histoire. Agé de seulement 24 ans, Leeson était trader pour la Baring Bank dans ses bureaux à Singapour. Il a permis à la banque d’engranger d’énormes bénéfices grâce à la spéculation sur les dérivés et les marchés à terme, mais a également accumulé des positions perdantes très importantes, qu’il a réussi à cacher jusqu’en 1995. Ces pertes ne pouvaient alors plus être masquées et représentaient £860 millions. Alors poursuivi par la justice, Leeson a tenté de s’enfuir vers le Royaume-Uni mais a été reconnu par des agents de douane, qui l’ont extradé vers Singapour 15 jours plus tard, où il a été jugé et condamné à six années d’emprisonnement, avant d’être libéré en 1999. On considère que c’est lui qui a fait couler la Baring Bank qui a été incapable d’assumer les pertes causées par le trader actions, représentant alors deux à trois fois ses capitaux propres. Elle a été vendue à ING pour une livre sterling symbolique.
John Rusnak, victime de son incompétence : $691 millions de pertes
John Rusnak a été engagé par Allied Irish dans les années 1990 pour travailler sur les devises étrangères. Sa limite de trading était alors de $2,5 millions. En 2002, la banque a découvert que Rusnak prenait des positions secrètes qui représentaient une somme globale de $7,5 milliards, soit 3000 fois la limite autorisée, ce qui a ensuite engrangé des pertes de $691 millions. Le trader a été condamné en 2003 à sept années de prison, ainsi qu’au remboursement de cette somme.
Kweku Adoboli, le Kierviel suisse : $2,3 milliards de pertes
Cet ancien trader d’UBS a été accusé de malversations qui ont coûté $2,3 milliards à la banque suisse, pour ensuite être reconnu coupable de fraude et condamné à sept ans de prison par un tribunal londonien en 2012. Le jury l’a en revanche acquitté des chefs d’accusation de manipulation comptable qui pesaient sur lui. Sa faute, avoir dépassé les limites de courtage en vigueur en mettant sur pied des opérations fictives, ainsi qu’en mentant à ses supérieurs afin d’obtenir des bonus plus importants et faire progresser sa carrière. Adoboli a plaidé non coupable, et tout comme Kerviel, a assuré que ses supérieurs étaient au fait de ses activités et l’encourageaient même à « pousser ses limites ». Pour se défendre, il a lui-même reconnu avoir été responsable d’un portefeuille de $50 milliards, et ce avec un seul collaborateur. La moindre petite faute engrangeait donc une grosse perte, et Adoboli passait plus de 15 heures par jour au travail, parfois davantage. Il a avoué avoir perdu le contrôle.
Fabrice Tourre, ou Fabulous Fab : la bête noire de Goldman Sachs
C’est à seulement 22 ans que Fabrice Tourre est recruté par Goldman Sachs, le saint Graal de la haute finance. Ses capacités mathématiques exceptionnelles faisaient de lui le candidat idéal. Trader brillant et narcissique, il s’est même autoproclamé « Fabulous fab ». On attribue à Fabrice Tourre la création des titres Abacus, produits financiers hautement toxiques contenant à l’époque des crédits immobiliers subprimes. Mais ce n’est pas tout. En plus de vendre ces titres à ses clients, il prend position sur la baisse du marché immobilier aux Etats-Unis. Tourre était très au fait de l’effet nocif des titres, puisqu’il sera révélé lors de l’enquête qu’il les a lui-même qualifiés de « monstruosités ». Lors de la crise financière de 2008 et de la découverte du pot aux roses, Goldman Sachs s’est acquittée d’une amende de $550 millions, et s’est par la même occasion délestée de son Fabulus Fab, tout en prenant à sa charge tous ses frais d’avocats. Le procès de Fabrice Tourre s’est ouvert en juillet 2013, qualifié de « procès le plus emblématique de la crise financière de 2008 ». La firme maintient alors que Tourre agissait seul à la tête des Abacus, et le jury le juge coupable de 6 chefs d’accusation sur 7, ce qui lui vaut une amende de $825 000. Depuis, Fabrice Tourre mène une vie beaucoup moins glamour et enseigne l’économie à l’université de Chicago.
Les traders seraient pires que des psychopathes
Jérôme Kerviel qui fait perdre €4,8 milliards à la Société Générale, Nick Leeson qui ruine Barings, et plus récemment Kweku Adoboli et sa fraude de €1,5 milliards, n’ont pas amélioré la réputation déjà sulfureuse des traders. Aussi au cinéma, avec “Wall Street” Oliver Stone dépeint un portrait sans concession de l’envers du décor de ce métier qui alimente tous les fantasmes. La littérature quant à elle n’est pas en reste, avec le roman “American Psycho” de l’auteur à succès Brett Easton Ellis, qui complète ce portrait peu glorieux. L’étude universitaire dont nous allons parler n’a pas changé les choses, bien au contraire.
En effet une étude récente de l’université de Saint-Gall, en Suisse, qui a comparé le comportement “coopératif” d’un groupe témoin composé de 24 psychopathes enfermés dans des quartiers de haute sécurité d’hôpitaux allemands avec le comportement de 27 traders. Grace à des exercices du type “dilemme du prisonnier”, les scientifiques ont analysé la capacité des groupes à obtenir un gain commun. Les résultats font froid dans le dos : les traders ont beaucoup moins de scrupules et seraient largement plus manipulateurs et agressifs que les psychopathes. Ils cherchent non seulement à maximiser leurs profits par rapport à leurs adversaires, mais ont aussi dépensé une énorme quantité d’énergie afin de leur nuire. Mais pourquoi ? Cela reste un mystère pour les auteurs de l’étude.