Le délit d’initié (ou en anglais insider trading) est l’acte par lequel une personne achète ou vend des produits financiers grâce à la détention d’informations confidentielles, jusqu’à lors inconnues du grand public. En bref, des personnes mal intentionnées profitent d’informations qu’elles obtiennent sur leur lieu de travail afin de faire de gros profits boursiers.
La détention d’information confidentielle n’est pas illégale, elle est en fait nécessaire. En toute logique, les cadres dirigeants d’entreprises ont fréquemment accès à ce genre d’information. Ce qui est illégal, c’est d’utiliser ces informations à des fins spéculatives avant qu’elles ne soient connues du grand public.
Si l’AMF et la SEC veillent au grain pour éviter ce genre de dérive, beaucoup réussissent à passer entre les mailles du filet, ce qui a donné lieu à de très gros scandales financiers. Nous vous présentons aujourd’hui les délits d’initiés les plus sulfureux, qui ont marqué l’univers de la finance.
Albert H. Wiggin: le millionnaire du krach boursier
Dès les années folles de 1920, les professionnels de la finance et le grand public ont pris conscience du fait que la bourse était un jeu truqué, dont les gros fonds d’investissement tiraient les ficelles.
Souffrant de manque de divulgation d’information et d’une épidémie de rumeurs infondées, il était commun de penser que les seuls moyens de réussir en bourse étaient d’investir à court terme, ou de copier les opérations d’investisseurs réputés et historiquement gagnants. Mais beaucoup d’investisseurs se sont aperçus que la stratégie de réplication des opérations était en fait un écran de fumée, qui cachait des ordres de ventes.
Ils se sont donc retrouvés comme les dindons de la farce. Tandis que le marché continuait sa hausse, ces petits revers étaient alors vus comme le prix à payer pour entrer dans la cour des grands. Mais en octobre 1929, la cour des grands s’est révélée être un autre écran de fumée. Après le krach, le grand public clamait vengeance.
Albert H. Wiggin, le très respecté Directeur de la Chase National Bank, tombe de son piédestal : il aurait spéculé sur la baisse de 40 000 actions de sa propre société. Il s’agit ici d’un sérieux conflit d’intérêts. En utilisant des montages financiers obscurs pour masquer ses opérations, Wiggin s’est construit une position boursière le poussant à mener sa société à la ruine. Il n’existait pas de règles contre ce genre de pratique en 1929, ainsi Wiggin s’en est tiré avec $4 millions de profits.
Levine, Siegel, Boesky and Milken: la meute prémonitoire
Il s’agit de l’un des cas de délit d’initié les plus sulfureux de l’histoire, qui a rendu célèbres Michael Milken, Dennis Levine, Martin Siegel et Ivan Boesky. Si Michael Milken est celui dont on a le plus entendu parler en raison de l’acharnement de la SEC à son égard, Ivan Boesky était bel et bien le cerveau de l’opération.
Ce dernier fut arbitragiste (trader dont la fonction est de réaliser des opérations, supposément sans risque) dans les années 1980, fonction dans laquelle il était réputé pour avoir une aptitude incroyable pour repérer les cibles potentielles d’acquisition et effectuer des investissements avant qu’une offre ne soit faite.
Ainsi lorsque l’offre d’achat en question avait lieu, les actions de la firme concernée bondissaient, et Boesky vendait ses parts avec de grosses marges. Mais les prémonitions de Boesky se sont avérées être une fraude. Il avait en fait des contacts auprès des départements de fusion et acquisition des plus grandes banques : il avait payé Levine et Siegel pour obtenir des informations confidentielles qui ont guidé ses diverses opérations.
Après avoir frappé de grands coups sur de grosses acquisitions dans les années 1980, telles que Getty Oil, Nabisco, Gulf Oil, Chevron et Texaco, la SEC commença à devenir suspicieuse. Le couperet est tombé pour Boesky lorsque Merrill Lynch informa la SEC de la présence d’une fuite. Levine fut ainsi démasqué, et dénonça rapidement Boesky. Siegel et Milken furent inculpés à leur tour peu de temps après.
Martha Stewart: la reine du bon goût
Il s’agit d’une affaire qui a tenu en haleine les Etats-Unis pendant des mois. La célèbre femme d’affaires, productrice de journaux et d’émissions américaine Martha Stewart fut accusée d’avoir demandé en décembre 2001 à son courtier de l’époque de vendre l’ensemble des 4000 parts de sa société, ImClone.
Là où le bât blesse, c’est qu’elle aurait effectué cette demande après avoir reçu des informations qui portaient à croire que le traitement anti-cancer commercialisé par cette société n’obtiendrait pas d’approbation fédérale. Pour se défendre, Steward a affirmé qu’elle avait signé un accord avec son courtier stipulant qu’il devait vendre les actions si leur valeur passait en-dessous du seuil de $60.
Mais cela n’a pas suffi pour convaincre la SEC, qui l’a condamnée à cinq mois de prison, suivis de cinq mois de résidence surveillée et deux ans de mise à l’épreuve, sans oublier une amende de $30 000. L’ironie du sort, c’est que Martha Stewart, femme de 62 ans, était alors considérée comme impératrice du style et du bon goût aux Etats-Unis mais aussi dans le monde.
R. Foster Winans : un journaliste très corruptible
Bien que cette affaire ne soit pas la plus spectaculaire en matière de somme d’argent, il faut néanmoins saluer son originalité, au croisement entre le vol d’information et le délit d’initié.
En 1987, Foster Winans est journaliste pour le Wall Street journal où il publie quotidiennement des conseils à destination des investisseurs, ainsi qu’un état des lieux des marchés financiers. Il va sans dire que ses publications influaient grandement les lecteurs.
Mais le journaliste a pris la mauvaise habitude de vendre ses informations à des courtiers bien avant que l’article ne soit publié, ce qui a permis à ces derniers d’anticiper les mouvements des marchés.
Il sera démasqué par la SEC, mais son procès fut difficile. Les articles écrits constituant uniquement l’opinion personnelle de Winans et non pas des informations confidentielles, il fut impossible de le condamner pour délit d’initié. La SEC partit donc du principe que l’information appartenait au Wall Street Journal, et non à Winans alors condamné à 9 mois de prison pour vol envers son employeur.