AccueilÉconomieForum annuel de la BCE : nouveau visage de l’Europe

Forum annuel de la BCE : nouveau visage de l’Europe

Mario Draghi s’est rendu au Portugal le 28 juin pour assister au grand forum annuel de la Banque Centrale Européenne. Si le sujet du Brexit a été soigneusement évité pendant deux jours, il fut sur toutes les lèvres tant les conséquences pour l’Europe et le reste du monde sont préoccupantes. Draghi lui-même a déclaré sa « tristesse » suite au Brexit, et a plaidé en faveur d’un « alignement mondial des politiques monétaires ». De la même manière que les autres grandes banques centrales, la BCE a promis qu’elle n’hésiterait pas à agir pour stabiliser les marchés financiers, et ce quitte à inonder le marché de liquidités. Durant deux jours les banquiers, économistes et membres d’institutions financières prestigieuses ont débattu des politiques monétaires en vigueur, ainsi que des baisses de taux. Les discussions étaient sensées s’achever par un débat entre Draghi, Carney et Yellen, qui ont finalement dû passer leur tour, actualité oblige. Tout un panel d’économistes et de personnalités les ont remplacés au pied levé, ce qui a finalement donné lieu à un débat sur le Brexit. Compte-rendu.

 

Référendum du 23 juin : un pays profondément divisé

Jean Claude Trichet, qui a dirigé la BCE entre 2003, admet n’avoir jamais connu aucun évènement capable de déjouer les sondages et provoquer une telle stupeur sur les marchés. La victoire du Brexit est pour les économistes une preuve éclatante du contexte politique et social britannique, dont les divisions entre régions sont maintenant en pleine lumière, à tel point qu’on en parle comme du Royaume « désuni ».

 

Le pire a été évité mais les remous vont perdurer

Certes, la chute des bourses européennes et celle de la livre sterling au lendemain du référendum ont été violentes, mais les marchés ont réussi à se redresser et à fonctionner normalement, sans se retrouver à court de liquidités. Ce qui est plus préoccupant, c’est l’effondrement de nombreuses valeurs bancaires européennes, qui laissent la zone euro affaiblie.

« Le Brexit n’est pas l’équivalent d’un nouveau Lehman Brothers sur les marchés. Sans les mesures stabilisatrices des banques centrales, le choc aurait pu être pire. » Vitor Constancio, Vice-Président de la BCE.

 

L’économie britannique : première touchée par le Brexit

La baisse des investissements et des embauches vont freiner l’activité du Royaume-Uni de manière inexorable. Les plus pessimistes pensent même que le pays pourrait plonger dans une récession pour au moins deux trimestres. Pour la zone euro en revanche, les répercussions seraient limitées, avec seulement 0,1 % de la croissance menacée.

« Les doutes et incertitudes à propos du futur statut du pays, de son maintien ou non dans l’Union européenne, de la composition du prochain gouvernement, pénaliseront durement la croissance », Lord Adair Turner, Directeur de la Financial Services Authority entre 2008 et 2013.

 

Royaume-Uni et Europe : plusieurs scénarios possibles

C’est le sujet qui a le plus divisé les participants, tant l’éventail de scénarios est large. D’après certains, il est même possible que le Royaume-Uni reste dans l’Union européenne, étant donné que la procédure tarde à être activée. Lorsque ladite procédure sera enclenchée, grâce à l’article 50 du traité de Lisbonne, toutes les relations commerciales entre le Royaume-Uni et l’Europe devront être renégociées. Le pays pourrait ainsi perdre le passeport européen qui permet aux banques implantées dans un pays de l’UE d’opérer dans tous les autres pays. Pour la City, ce serait le coup de grâce.

 « Plusieurs modèles sont possibles (…) le Royaume-Uni pourrait ainsi suivre l’exemple de la Norvège, de la Suisse ou bien du Canada, qui ont chacun des modalités d’échanges commerciaux différents avec l’Europe. », André Sapir, professeur à l’Université libre de Bruxelles.

 

La mission conséquente des banques centrales

Le Brexit vient s’ajouter à la liste des problèmes des banques centrales, déjà confrontées à la déflation qui menace l’Europe. Elles ont cependant déclaré être prêtes à toute mesure nécessaire à un bon fonctionnement des marchés. Les banques du Japon, d’Angleterre, la FED et la BCE ont assuré le 24 juin qu’elles n’hésiteraient pas à injecter toutes les liquidités nécessaires sur les marchés.

Peut-être qu’une coordination formelle de nos politiques n’est pas nécessaire, mais nous pouvons bénéficier de leur alignement. Par alignement je veux dire un diagnostic commun des causes à l’origine des défis qui nous affectent tous. Un engagement commun à baser nos politiques intérieures sur ce diagnostic« , Mario Draghi, Président de la BCE, Forum annuel de la BCE.

 

Persistance des taux d’intérêt bas très inquiétante en Europe

C’est €7.195 milliards de dette souveraine qui ont été échangés à taux négatifs au mois de mai et ce malgré les immenses efforts déployés par les banques centrales depuis la crise. L’inflation demeure trop faible en Europe, alors que la croissance de la production reste décevante. Si c’est un constat partagé par de nombreux économistes, la BCE n’est pas de cet avis et considère que les rachats de dettes et autres mesures sont efficaces sur la croissance et l’inflation.

Dans tous les cas, les taux négatifs sont susceptibles d’avoir des conséquences négatives sur l’économie s’ils sont maintenus trop longtemps : ils rognent la marge des entreprises, ébranlent la confiance des épargnants et encouragent les prises de risque inconsidérées. Le tout favorise l’apparition de bulles spéculatives.

 

La croissance doit s’appuyer sur la hausse de la production

Les crédits alloués aux acteurs non bancaires au sein de pays émergents ont vu leur nombre doubler depuis 2009, pour atteindre $3.300 milliards en 2015. Cela favorise l’endettement, et l’économie mondiale ne peut pas se permettre d’endettement supplémentaire, car c’est ce qui l’a menée à la situation actuelle. La croissance doit au contraire s’appuyer sur la hausse de la production et des revenus, pas sur le crédit.

« La politique monétaire supporte, depuis beaucoup trop longtemps, une part excessive du fardeau », BRI, banque des règlements internationaux.

Depuis la crise, les Banques se sont retrouvées seules au contrôle de l’Europe. Les gouvernements se sont beaucoup trop reposés sur les banques, alors chargées de stabiliser le système financier tout entier, pour ensuite relancer la croissance. Mais avec le temps, l’efficacité des mesures monétaires devient plus faible.

Il ne faut pas céder à la tentation de recourir à des solutions à court terme ou de prendre des raccourcis. Les mesures adoptées doivent être fermement orientées sur le long terme. Le monde a besoin de politiques qu’il ne regrettera pas d’avoir adoptées, le jour où demain arrivera ». Représentant de la BRI, Banque des Règlements Internationaux.

Il est primordial de renforcer la solidité des banques, afin qu’elles puissent prêter aux entreprises. Selon la BRI, des « mesures d’urgence » sont à envisager afin de sorti de ce piège : rééquilibrer les politiques publiques, donner plus de place au volet budgétaire ainsi qu’aux réformes structurelles. Mais attention,  la dépense publique ne doit pas être agrandie, seulement mieux utilisée pour favoriser l’investissement et soutenir la croissance à long terme. La fiscalité doit également être revue afin de décourager l’endettement excessif des entreprises, institutions financières et ménages. Cela permettra d’éviter la formation de bulles immobilières comme on a pu en observer en Espagne. En ce qui concerne les banques, la BRI suggère de limiter le versement de dividendes, afin de réduire la recherche de rendement sans fin des institutions financières.

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