Durant les années 1980 le Japon s’est imposé sur la scène internationale comme une puissance économique de premier rang, qui pouvait même se targuer de dépasser les États-Unis. Mais les années 1990 sont venues mettre un terme à cette irrésistible ascension, pour plonger le pays dans une décroissance qui durera deux décennies. Depuis, le Japon est incapable de se débarrasser de la déflation rampante qui pèse sur son économie. Ce n’est pas faute d’avoir essayé, dira la Banque du Japon qui a pourtant tout mis en œuvre pour sortir le pays de la récession, jusqu’à même en faire un peu trop. L’abus de mesures de sauvetage telles que la planche à billets et autres politiques budgétaires et fiscales ont rendu l’économie surendettée insensible à tout stimulus.
La déflation : ennemi numéro 1 du Japon
Durant les 20 dernières années le Japon a flirté avec la récession, en raison d’une croissance presque nulle et d’une déflation rampante. Le pays représente le parfait exemple de ce qu’il faut éviter de faire : au début, une crise financière classique, entraînée par l’explosion de la bulle financière due à l’expansion fulgurante du crédit bancaire durant les années 1980. La Banque du Japon prend alors la décision de remonter son taux d’intérêt, et la croissance fulgurante connue durant les deux dernières décennies n’est jamais revenue. Dans une tentative désespérée de sauver l’économie, le gouvernement a alors décidé d’ouvrir les vannes du déficit budgétaire, pour faire exploser la dette budgétaire de 60 % à 250 % PIB aujourd’hui, et ce sans jamais faire revenir la croissance.
Quel est le problème de l’économie japonaise ?
Le Japon possède la population la plus vieillissante au monde, ce qui entraîne un déclin démographique, lui-même combiné à un faible taux de natalité et une immigration inexistante. Dans les années 1990, le baby-boom d’après-guerre a cessé, pour laisser le pays s’enfoncer dans la déflation et une pénurie de travailleurs. Pour couronner le tout, les ménages japonais sont réticents à la dépense, et les sociétés préfèrent investir à l’étranger. Si on ajoute à tout cela une réglementation stricte, cela donne une économie stagnante, sans croissance, parsemée de récessions.
Politiques monétaires, budgétaires, fiscales
La banque centrale japonaise a utilisé l’outil monétaire traditionnel, et réduit les taux d’intérêt en baissant le coût du crédit pour inciter les ménages à emprunter pour consommer davantage. Cette technique a pour but de stimuler la croissance économique via la consommation. Le problème vient ici de l’excès : la BoJ a réduit ses taux directeurs durant toute la décennie 1990, ce qui a rendu cette méthode ineffective et insuffisante. Des politiques dites « non conventionnelles » visant à augmenter la masse monétaire via l’assouplissement quantitatif ont alors été mises en place. Grâce à ce mécanisme, le Japon est brièvement sorti de la déflation en 2006. Mais le pays n’a jamais retrouvé sa situation de plein emploi et la croissance est restée en berne. Pourquoi ? Parce que l’injection de liquidités dans le secteur bancaire n’a pas profité à l’ensemble de l’économie : ces fonds sont restés dans les circuits financiers et ne sont jamais arrivés jusqu’aux ménages qui ne souhaitent pas emprunter compte-tenu de la conjoncture. Des mesures de relance budgétaires et fiscales ont alors suivi, avec de résultats très mitigés.
La politique Abenomics ou le serpent qui se mord la queue
La dette japonaise est largement supérieure à celle de autres économies développées, en raison des multiples stimulus mis en place pour soutenir l’économie.
Le plan de relance Abenomics du Premier Ministre Shinzo Abe a aidé à affaiblir le yen et boosté les profits de sociétés, mais les salaires et la dépense des ménages sont restés fragiles. Arrivé au pouvoir en 2013, Abe a tenté de mettre un terme à ces deux décennies perdues, et de s’engager dans une politique d’assouplissement quantitatif comme le font la Grande-Bretagne et les Etats-Unis depuis la crise de 2007. L’inflation et la croissance ont fait mine de remonter légèrement avec ces mesures, pour ensuite retomber inexorablement. Retour à la case départ pour le Japon, plus endetté que jamais. Cette dette plus élevée a alors poussé le gouvernement à considérer des hausses d’impôts, mais en 2014 la dépense des ménages et le produit intérieur brut ont chuté davantage, pour mener le pays à la récession. La décision du gouvernement de retarder une nouvelle hausse d’impôts a certes protégé d’une nouvelle récession, mais cela a également déçu les investisseurs qui espéraient voir le Japon réduire sa dette.
La Banque centrale reste incapable de relancer l’inflation
Le programme de rachat d’actifs de la Banque centrale qui a débuté en 2013 a provoqué une hausse du PIB à faire rougir les autres économies développées. Le stimulus monétaire a affaibli le yen, qui a avantagé les exportateurs : les profits des sociétés et le cours des actions ont augmenté. Seul problème, la dépense de ménages n’a une nouvelle fois pas suivi, tout comme l’inflation qui reste bien loin de l’objectif de 2 % fixé par la Banque centrale. Le yen, considéré comme valeur refuge durant les périodes d’incertitude, s’est à nouveau renforcé en 2016.
Le Japon est-il devenu la nouvelle Grèce ?
Il y a peu, tous les marchés étaient tournés vers la Grèce. Le pays en crise tentait de renégocier sa dette, ce qui a affecté la manière dont les membres de l’Union européenne interagissent entre eux pendant plusieurs années. Un drame similaire se déroule à des milliers kilomètres de là, au Japon. La situation du pays asiatique, troisième puissance mondiale, est susceptible d’avoir des conséquences beaucoup plus dramatiques que la Grèce sur l’économie mondiale. A moins que le gouvernement japonais n’augmente ses impôts à hauteur de 15 % au lieu des 8 % actuels, l’économie est destinée à sombrer dans la récession en raison de sa population vieillissante et du taux d’épargne très important des ménages qui rendent impossible l’absorption de la dette publique. Peu importe ce qui se passe en ce moment au Japon, l’Europe et les États-Unis doivent se montrer vigilants quant à leurs politiques monétaires, alors que la plupart des économies développées semblent à leur tour être engluées dans une spirale déflationniste.