L’été 2016 fut sanglant pour la Turquie. Depuis la tentative de coup d’état ratée du 15 juillet dernier, le Président Recep Tayyip Erdogan a décidé de se lancer dans une vaste chasse aux sorcières, pour selon lui, défendre la démocratie. Cette « purge » met hors d’état de nuire tous ses opposants politiques et pour le moment le bilan est très lourd : 290 morts, 40 000 personnes interpellées et 20 000 incarcérées, des milliers de limogeages, sans compter les fermetures d’écoles et d’associations. Aucun secteur n’a été épargné. Si la Turquie affiche des taux de croissance record depuis quelques années, l’agence de notation Fitch menace d’abaisser la note souveraine du pays en « high yield », la très redoutée catégorie spéculative qui entraînerait à coup sûr un retrait massif des capitaux de la part des investisseurs. Outre les retombées économiques, l’OTAN a mis en garde Erdogan quant à l’importance du respect des principes démocratiques.
Turquie: un des meilleurs taux de croissance du G20
Au premier trimestre de 2016, la Turquie peut se targuer d’un taux de croissance de 4,8 %, de quoi faire rougir tous les pays européens dont la croissance moyenne stagne à 1,8 %. En 2015, le pays avait déjà enregistré une croissance de 4 %, malgré un nombre incalculable de freins à l’économie : deux scrutins législatifs, trois attentats suicide, les rebelles kurdes ainsi que les 2,7 millions de réfugiés syriens présents sur le territoire. Rien n’arrête l’économie turque, en croissance depuis 26 trimestres consécutifs. Cette croissance est largement attribuable au relèvement du salaire minimum de 30 %, à la hausse des traitements des fonctionnaires, ainsi qu’à la baisse des prix du pétrole, cette dernière ayant considérablement allégé la facture énergétique du pays. Depuis l’arrivée d’Erdogan au pouvoir en 2003, le niveau de vie général de la Turquie s’est considérablement amélioré, avec un PIB par habitant qui a été multiplié par trois.
Les institutions du pays ébranlées
Dans la soirée du 15 juillet 2016, un petit groupe de militaires, d’après les médias « en tout et pour tout une demi-douzaine de F-16, une dizaine d’hélicoptères, une quarantaine de blindés et moins de cinq cents hommes » a tenté en quelques heures de renverser le gouvernement en place, causant 290 victimes. Le putsch a été avorté et le Président turc Recep Tayyip Erdogan, estimant que le danger était toujours présent, a décidé de lancer une chasse aux sorcières afin d’éliminer tout risque d’opposition à son parti. Cela a entraîné l’arrestation de 358 généraux turcs et la suspension de 66 000 employés du secteur public. Depuis le 15 juillet, pas moins de 18 000 personnes ont été placées en détention, dont 9 677 attendent de passer en jugement.
La « purge » s’est propagée au milieu économique
Rien n’échappe à la purge du Président turc Recep Tayyip Erdogan, qui après les militaires, fonctionnaires, policiers, journalistes, écoles privées et juges, s’en prend aux sociétés privées. Ainsi, trois chefs d’entreprises ont été mis en garde à vue : Mustafa Boydak, Président du conglomérat familial Boydak Holding, ainsi que deux dirigeants de son groupe. C’est une première dans le milieu économique de la Turquie, ce qui n’a pas manqué d’attiser la nervosité des marchés : les agences de notation abaissent l’une après l’autre la note souveraines de la Turquie et le maintien du pays en catégorie d’investissement est très incertain. La semaine dernière, Fitch a porté la notation à BBB, soit le dernier échelon avant la catégorie spéculative.
Le secteur du tourisme premier à être touché
Si les autorités en place tentent de minimiser l’impact des évènements du 15 juillet sur l’économie, la tentative de coup d’état et les purges en cours vont peser sur les perspectives de croissance de la Turquie, déjà affectée par la chute de la monnaie (-6 % versus le dollar) et les mauvaises performances de la Bourse d’Istanbul (– 13,6 %). Les attentats successifs en début d’année, qui ont fait 200 victimes et des milliers de blessés, avaient déjà fait chuter la fréquentation touristique d’un tiers, et les choses ne risquent pas de s’améliorer avec le putsch. Rappelons que le tourisme représente 4,5% du PIB de la Turquie. Selon le Ministre du Commerce Bülent Tüfenkci, le coup d’état et les évènements qui en découlent ont déjà coûté €90 millions à la Turquie, sans compter les annulations de réservations touristiques.
Erdogan n’a que faire de l’UE et des USA
L’Union Européenne et les Etats-Unis se sont prononcés en défaveur de la vaste campagne de purge lancée par Erdogan, qui le vendredi 29 juillet dernier a sans détour appelé les pays occidentaux à « se mêler de leurs affaires ». Le Secrétaire d’Etat américain John Kerry a officiellement demandé au gouvernement turc de maintenir le calme et la stabilité dans le pays et a insisté sur le respect de la démocratie et de l’état de droit. Il a ajouté qu’une une violente répression de la Turquie n’aurait pas de conséquences sur son adhésion à l’Otan.
« L’appartenance de la Turquie à l’Otan n’est pas en question », et l’Otan « compte sur les contributions continues de la Turquie, qui peut compter sur la solidarité et le soutien de l’organisation », a affirmé Oana Lungescu, porte-parole.
Le non-respect des principes démocratiques pourrait coûter sa place à la Turquie
Un mois après le coup d’état raté, les relations entre l’Occident et la Turquie sont tendues. La stabilité du pays, l’évolution de son armée et les orientations internationales de son exécutif constituent des inconnues de taille pour l’OTAN. Pour le moment, l’organisation a assuré de manière officielle que l’adhésion de la Turquie n’est pas remise en cause, et affirme compter sur les contributions continues d’Ankara. Mais en cas de non-respect des normes démocratiques et de la primauté du droit, la Turquie serait sans détour expulsée de l’Otan. La scène internationale reste sur le qui-vive, alors qu’Erdogan s’est déclaré impatient de rétablir la peine de mort.
« Certains nous donnent des conseils. Ils se disent inquiets. Mêlez-vous de vos affaires ! » Président turc Erdogan.
La Turquie prévoit toujours de rejoindre l’Union Européenne d’ici 2023
L’ambassadeur turc auprès de l’Union Européenne, Selim Yenel a déclaré « vouloir faire entrer la Turquie dans l’Union Européenne d’ici 2023 », ce qui coïncide avec le 100ème anniversaire de la création de la république turque. Pour rappel, la Turquie est candidate depuis 1999. Yenel a ajouté qu’il était inacceptable pour la Turquie de ne pas être admis dans l’UE à long terme. Mais depuis le mois de juillet et le début de la purge, Erdogan a reproché aux pays européens de manquer d’empathie, ce qui a nettement dégradé les relations entre Ankara et Bruxelles. Affaire à suivre.